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20 décembre 2013 5 20 /12 /décembre /2013 06:29
cpt08 e.ngeleka
 
Je suis un passionné de photographie. S’il est un métier dont je rêvais depuis l’enfance, c’est d’être photojournaliste. Avec le temps,  j’ai certes pris des cours de photographie et de Photoshop, mais juste comme hobbies.  J’aime photographier des lieux mais surtout les gens dans leur quotidien, sans fioritures. Ceci est un récit d’une photo presque banale prise il y a quelques années dans un train sur la ligne Cape Town-Mwizenberg, en Afrique du Sud.
 
C’était courant 2008. Je revenais de la Bibliothèque Centrale de Cape Town vers 14h00, site historique ici puisque c’est devant lui que Nelson Mandela s’est adressé pour la première fois au public à sa sortie de prison en 1989. J’ai donc pris le train, assis sur la banquette jaune à côté d’une fillette d’environ 4 ans qui ne cessait de gesticuler.  A cette heure-là, la voiture était aux trois quarts vide. Concentré dans la lecture d’un livre, je ne pouvais pas porter mon attention sur elle.
Elle posa sa tête sur mon épaule, l’air fatiguée. Etant un "familyman", son geste m’émut et c’est alors que je me retournais vers elle, lui sourit. Je vis que ses mains étaient attachées à une ceinture qui la reliait à une jeune dame assise à sa droite. Comme... un chien! Cela me parut insolite et bizarre.
Je me tournais vers la dame, une métisse appelée ici "coloured" [prononcez "kalat"] ou gens de couleur, et lui demandais avec un sourire jaune, partagé entre la surprise et l’embarras :
" Excusez-moi, heuh… pourquoi l’attachez-vous ainsi ? "
 
La dame me toisa, comme cherchant à m’identifier. Sans doute se rendit-elle compte que je ne suis pas un des Noirs sud-africains avec lesquels les "coloured" n’entretiennent  pas de relations amicales. Apparemment rassurée, elle me dit ensuite: " Vous n’êtes pas d’ici ou quoi ? Vous ne lisez pas les journaux ? " Elle semblait étonnée de mon étonnement.
 
" Si ", lui répondis-je, lui présentant mon exemplaire du quotidien "Cape Argus" pris dans mon sac-à-dos.
 
"Alors dans ce cas, vous devriez savoir que Cape Town est la première ville du pays où le taux de criminalité contre les enfants est le plus élevé". Elle avait raison.
  Les statistiques en cette matière font froid au dos: en 2008, Cape Town est la ville numéro 1 en matière de criminalité.
" Ça, je sais ", fis-je, un peu embarrassé de l’ennuyer avec mes questions comme si j’étais dans un reportage journalistique. Mes yeux se dirigèrent alors vers les mains attachées de sa fille. La dame vit mon geste et regarda, elle aussi, les mains de sa fillette.
  http://media-cdn.tripadvisor.com/media/photo-s/00/1e/14/72/table-mountain.jpg
Au dehors, nous nous approchions de la station Salt River et le " Table Mountain ", cette chaine de montagnes célèbre ressemblant à une table, et qui constitue une des grandes attractions touristiques de la ville, resplendissait. Je sortis mon appareil photo et l’immortalisa pour la énième fois, tellement je ne me rappelle pas le nombre de fois que j’ai photographié cette montagne.
 
La mère balança les bras et les épaules avant de dire : "Vous savez, c’est le prix à payer dans cette foutue ville pour que votre enfant ne vous soit pas enlevé ou violé. Pour ma part en tout cas, je préfère la voir ainsi, même attachée comme un chien. Je ne vais pas quand même mettre ma confiance entre cette Police corrompue et incompétente !". Les habitants de Cape Town, surtout les Blancs et les Coloured, ne portent pas la leur Police dans leur cœur…
 
Elle le dit avec autant de force que je me sentis mal à l’aise. "Tu es un étranger dans ce pays et l’enfant n’est à toi. De quoi te mêles-tu ?", me dis-je silencieusement. Elle n’avait pas des comptes à me rendre, après tout…
 
" Euh, permettez-vous que je photographie votre fille ? Je trouve cela insolite… disons c’est la première fois que je vois ça", balbutiais-je.
 
Elle jeta un coup d’œil à sa fille, lui arrangea une mèche rebelle avant de me lancer. "Vous pouvez y aller, si vous voulez".
 
Je ne me fis pas prier et pris deux ou trois poses, tandis qu’elle se tournait son regard à côté pour ne pas être vue. Je m’attendais à ce qu’elle me dise par après " Voyons un peu comme ma fille apparait dans la photo ”. Mais elle n’en fit rien.
Elles descendirent à la station Newslands, tenant sa fillette par l’épaule. Celle-ci me sourit furtivement, comme si elle ne voulait pas que sa mère la voie.
 Je voulus me remettre à lire mon livre mais ne pouvais me concentrer, étonné de ce que je venais de voir et me demandant sans cesse: " mais où va ce monde ?"
 
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